RECORDING
Cette anthologie rassemble des pages toutes postérieures à 1907, c'est-à-dire datant de la maturité de Busoni. La muse large et généreuse du musicien, à l’instar de celle de Michel-Ange, brasse les matériaux les plus divers. Certains morceaux affichent fièrement leur italianité, d'autres, à l’opposé, cultivent une germanité inspirée de Bach (idolâtré par l'auteur), férue d'artifices contrapuntiques, de chromatismes et de dissonances. L’exercice (pratique sportive du clavier et jeux intellectuels du contrepoint) est la pierre angulaire de ces musiques dont il justifie aussi bien l'éblouissante virtuosité pianis-tique que l'écriture abrupte souvent voisine du dernier Beethoven. Mais la plume de Busoni est aussi celle d'un brillant styliste, capable de s'assimiler la personnalité de ses devanciers avec une liberté telle que ses adaptations deviennent des œuvres originales: tel est le principe des innombrables «Bach-Busoni» ; mais cet album nous propose également du «Chopin-Busoni» et surtout du «Bizet-Busoni» (Sonatine n° 5) très at trayant par sa volubilité et ses citations de Carmen. Et il y a enfin Busoni le futuriste, tissant dans sa Sonatine n°2 une énigmatique étoffe sonore, sans armature et sans tonalité, dont les lambeaux de brume dissimulent l’inquiétante silhouette du Docteur Faust (l'autre alter ego de l’auteur).
L’impeccable virtuosité de Marc-André Hamelin se joue des pièges recélés par ces redoutables partitions; sa quête faustienne, à la fois analytique et méditée, assume la dimension philosophique quasi médiévale de cette alchimie sonore et nous en livre une référence absolue.