Grâce au pianiste américain, on entre à pas feutrés dans l'univers des Poèmes de Scriabine. La dimension fantastique et littéraire prend forme doucement dans un son rond et épais. Comme si par les couleurs de son Steinway, Garrick Ohlsson cherchait les diffractions lumineuses des poèmes orchestraux. Pourtant de poème en poème, il renouvelle peu le jeu et la matière sonore. L'énergie demeure totalement "sous contrôle". Enregistrer l'intégrale d'un tel cycle, c'est nécessairement traduire l'évolution du langage musical et adapter son jeu en conséquence. Il possède pourtant une superbe sonorité, mais trop uniformément ancrée dans un toucher velouté. Au fil du temps, l'éparpillement sonore en raison du caractère aphoristique de l'écriture devient une nécessité. Malgré cela, l'interprète ne brise aucun des liens avec le grand piano romantique. Les micros demeurés au même endroit, alors qu'ils auraient pu participer ) un nouvel éclairage; accentuent une certaine monotonie. Peut-être était-ce la volonté de Garrick Ohlsson qui consistait à ne pas offrir 34 pièces séparées, mais une seule, dans un même élan? On regrette qu'il ait pris ses distances avec la déraison de l'écriture. Une intégrale des poèmes de Scriabine s'imagine difficilement par un seul interprète, malgré quelques rares réussites comme celle de Pascal Amoyel (Calliope). L'histoire du disque a préservé heureusement de nombreuses références qui compensent toute somme exhaustive: Gieseking, Richter, Sofronitsky, Horowitz, Neuhaus, Ashkenazy, Kissin, Sokolov …