On pourra toujours reprocher à la direction objective et rapide de Markus Stenz de négliger la ductilité du tissu musical mais il faut reconnaitre que le flux symphonique torrentiel qui coule des Gurre-Lieder ne subit aucune baisse de tension. Si le chef accompagne moins les chanteurs qu'il ne les intègre à la trame orchestrale, il prend soin de ne jamais les couvrir, péril majeur de cette partition dont les forces en présence cumulent jusqu'à quarante-huit portées! La prise de son, exemplaire, ménage de surcroît l'aération des textures, ouvrant la voie à des détails d'instrumentation d'ordinaire peu perceptibles.
Le plateau vocal se montre dans l'ensemble à la hauteur de l'enjeu, à l'exception de Barbara Haveman, Tove au souffle court et au vibrato trop prononcé. Face à elle, le Waldemar noble et touchant de Brandon Jovanovich compense un aigu un peu dur par sa noblesse d'élocution et un timbre barytonnant d'une grande force de suggestion: son air déchirant de la deuxième partie "Herrgott, weisst du, was du tatest" atteint une superbe intensité. La prestation de la mezzo Claudia Mahnke dans le Lied der Waldtaube paraîtra pâle à ceux qui gardent en mémoire la divine Janet Baker, inoubliable avec Ferencsik.
Gerhard Sigel trouve le ton juste dans la séquence disruptive du bouffon, tandis que Thomas Bauer fait preuve d'une belle insolence vocale dans sa courte apparition. Saluons enfin la discipline des chœurs à qui la captation ne laissait pas droit à l'erreur. Tout cela fait de cette version superbement enregistrée l'une des plus recommandables de la discographie récente, à égalité avec Boulez (Sony) mais derrière Ferenscik (Emi) et Ozawa (Philips), la référence.