Né en Ukraine Sergueï Bortkiewicz a connu une existence assez chaotique, ballottée entre Saint-Pétersbourg, Berlin, Constantinople et Vienne. II est de ces romantiques tardifs qui ont eu le plus grand mal à se faire entendre. Comble de malchance, certaines de ses partitions ont disparu. D'autres ont miraculeusement refait surface en 2013, dont les Opus 58, 61 et 64 enregistrés ici pour la première fois. Le compositeur n'est tant pas un inconnu ; Stephen Coombs lui a consacré trois disques chez le même éditeur, et Cyprien Katsaris un plein album (Piano 21).
Les pages réunies par Nadejda Vlaeva datent des années 1940, alors que Bortkiewicz avait la soixantaine. Le meilleur du programme? Les superbes Fantasiestûcke op. 61 (clin d'œil a Schumann avec Warum), entre tumulte passionné, esprit (délicieuse Humoresque) et finesse (Sérénade cernée d'attrayants dégradés harmoniques). Un petit chef-d’œuvre qui aurait sa place dans le répertoire des pianistes curieux.La langueur et la fièvre sous-jacente des deux Préludes évoquent le jeune Scriabine (celui de l'Opus 11). Le spectre du compositeur réapparait au détour de Lyrica nova, aux envolées mélodiques et aux guirlandes de notes caractéristiques. Le créateur russe n'est pas le seul « visiteur » des œuvres de Bortkiewicz. Sans surprise, Chopin innerve les Trois mazurkas mais aussi la cinquième pièce de la Suite yougoslave, qui exhale les senteurs du Nocturne op. 72 n° 1 posthume. Liszt est également de la partie (quatrième pièce sous l'influence de son Rêve d'amour). Quant a la Sonate n° 2, elle fourmille de citations (Concerto n° 2 de Rachmaninov très franchement, la Rhapsodie op 79 n° 1 de Brahms en filigrane). Au-delà de l'hommage appuyé, un souffle virtuose anime l'ensemble sous les doigts solides et convaincants de Nadejda Vlaeva. De très jolies découvertes.