Un festival de trouvailles! Ainsi résumerait-on en quatre mots le récital bartokien particulièrement kaléidoscopique de Cédric Tiberghien. Dans cet éventail de miniatures écrites entre 1912 et 1939, l'interprète magnifie la modernité du langage harmonique et rythmique du Hongrois avec une intelligence vertigineuse et une imagination réjouissante. Si Bartók, dont plusieurs enregistrements gardent trace au piano, abordait le clavier comme le sculpteur débite le bloc de pierre, Tiberghien taille surtout des diamants. D'un geste sûr et justement dosé, il fait s'entrechoquer, se frotter ou se télescoper les dissonances pour donner un sens a chacune d'elles, sans rien omettre des nombreuses ambiguïtés tonales et modales propres a la poétique du compositeur. Les angles, irrégularités et autres résonances intrinsèques participent a la réfraction de la lumière, omniprésente—y compris dans une Musique nocturne a la surface liquide. Ainsi révélée, l'architectonique tend inévitablement a tirer les éléments stylises de folklore vers une certaine forme d'abstraction.
Tour à tour percutant, mystérieux, cassant, lugubre, immatériel, etc., son toucher formidablement nuance permet à Tiberghien de créer une atmosphère propre à chaque vignette en moins de temps qu'il ne faut pour le dire (En plein air). Si le fantôme de Moussorgski ou de Janáček, se manifeste ici, et que Debussy semble guider la plume de Bartók là, il est bien plus difficile—voire impossible—de décrire les timbres inouïs que le pianiste obtient ailleurs de son instrument (le sixième cahier de Mikrokosmos en regorge). Le voyage est stupéfiant.