Pianiste des engagements extrêmes aussi indispensable que fascinant dans ses choix de répertoire, Steven Osborne rend hommage à deux figures majeures de la musique américaine: Morton Feldman et George Crumb. Ces deux explorateurs musicaux s’aventurent vers des zones instrumentales pianistiques inattendues. Morton Feldman est de loin le plus radical et le plus intriguant. Fasciné par les tapis orientaux et leurs symétries inégales, il met en notes des espaces sonores planants aux confins des nuances, de l’audible et de la narration. D’une durée de vingt-cinq minutes, Palais de Mari, inspiré par un tableau du musée du Louvre représentant l’ancien palais babylonien de Mari, est la dernière œuvre pianistique du compositeur. L’espace musical se détend ici à l’infini, ouvrant des portes sur un magistral travail de couleurs et de teintes. Le défi pour le pianiste est d’habiter cet espace sonore flottant dans une apesanteur embuée et intrigante. Steven Osborne relève le défi avec un grand sens des équilibres et des couleurs. Il habite Palais de Mari et les trois autres pièces de Feldman d’une beauté inouïe.
A côté de cet univers radical, George Crumb nous emmène dans un terrain à la fois proche et différent de Morton Feldman. Proche par un déroulement du temps musical décanté et éloigné par un raffinement debussyste dans le choix des couleurs dont témoigne A Little Suite For Christmas inspirée de Giotto et de ses fresques. L’explosion de lumière n’est pas sans rappeler le piano de Messiaen, avec un identique degré de raffinement.
Tout au long de ce disque exigeant mais indispensable par sa qualité et son originalité, Steven Osborne est un guide unique et un conteur hors-pair de ces musiques qu’il parvient à rendre presque «classiques» par leur évidence. La prise de son ample et claire est un autre argument pour faire rentrer ce disque dans toutes les discothèques.