Sylvain Gasser
Diapason, France
novembre 2016
RECORDING
PERFORMANCE

Aux anthologies de la musique de Thomas Tallis par le Theatre of Voices (HM), le Taverner Consort (Virgin) ou les Tallis Scholars (Gimmel), s'est ajoutée il y a quelques années une première intégrale, par Alistair Dixon et sa Chapelle du Roi (Brillant Classics). Leur coffret de dix CD empilait des lectures correctes et conformes aux canons stylistiques actuels, mais assez faciles à supplanter. Et sans surprise, l'équipe d'Andrew Carwood prend le dessus dans ses volumes distillés au fil des mois chez Hyperion—dans la foulée de leur intégrale William Byrd, en treize volumes salués par plusieurs Diapason d'or.

Le primat de la lisibilité polyphonique et de la transparence lumineuse, cher à de nombreux ensembles spécialisés britanniques, n'est pas le credo d'Andrew Carwood, loin de là. Est-ce un hasard si, ténor lui-même, il aime laisser ses troupes s'exprimer à pleine voix? Les effectifs sont réduits—un ou deux chanteurs par partie, tantôt mixtes, tantôt seulement masculins—mais le son très nourri. Et chacun répond vivement à sa direction dynamique. A ce titre, le motet Salve internerata est exemplaire. Il s'agit là d'une des plus grandes antiennes votives, la pièce en un seul mouvement la plus longue du répertoire Tudor (plus de seize minutes, œuvre d'un jeune homme). Carwood développe le large éventail vocal de son ensemble et innerve la vaste mélodie—qui se déroule sans la moindre interruption—d'impulsions harmoniques saisissantes. Autre grand moment, les célèbres Lamentations, marquées par un art étonnant de la dissonance (sublime finale de Daleth) et par l'usage fréquent de la fausse relation. La puissance des seules voix d'hommes (dans la lignée de Hilliard, ECM) installe un climat singulier: contemplatif, mais loin de la retenue émotionnelle que s'imposent de nombreux chœurs anglais dans ce répertoire. La section Omnes persecutores (Lamentations II) est un sommet dans la lecture de Carwood. Les motets qui suivent reproduisent la même intensité vocale: il se dégage, du premier au dernier mot de ces pièces courtes, une impression de complétude rassurante (In pace, in idipsum).

A côté de ces splendeurs, on regrettera dans le CD consacré aux motets en langue anglaise (pour l'office dorien) un ton moins prenant, et des chanteurs plus soucieux de ciseler le son, que d'habiter les nuances colorées.