John Eliot Gardiner aura poussé loin son exploration des symphonies de Mendelssohn—mais toujours sans son Orchestre révolutionnaire et romantique. Avec les Wiener Philharmoniker, il enregistrait en 1998 la "Réformation" et les deux versions de "Italienne" (l'originale de 1833 et celle révisée l'année suivante, DG, cf. nº 457). Et l'"Italienne" revient à l'affiche du troisième album Mendelssohn capté sur le vif avec le LSO. Le cycle sera complet quand arrivera la Symphonie nº 2 "Lobegesang".
L'album s'ouvre sur la Symphonie nº 1… en cinq mouvements! Une première. Gardiner s'en explique: il apprécie autant le Menuetto d'origine que le pétillant Scherzo qui le remplaçait, à Londres, en 1829. Il n'a pas eu le cœur à choisir. Scherzo sempre pianissiomo e leggiero: il n'est autre que celui de l'Octuor, mais retravaillé, peaufiné dans son instrumentation, éclairé dans le détail. Un bijou, rendu plus shakespearien encore par Mendelssohn (… et par Gardiner), et un traquenard où plus d'un orchestre prestigieux pourrait se perdre.
Les deux mouvements extrêmes cadrent strictement le propos: geste assuré, élan et contrastes marqués, magnifique équilibre cordes/harmonie, agilité du quatuor, transparence un brin froide. Ils s'éloignent du modèle classique, entrent déjà de plain-pied dans le romantisme. Mais le phrasé de l'Andante, la respiration du tissu orchestral, le sentiment poétique sont des merveilles; le LSO y révèle l'étendue de la souplesse et la justesse de son jeu collectif si malléable.
La comparaison de deux "Italienne" (œuvre créée à Londres!) est instructive: le propos général de Gardiner aujourd'hui ne tranche pas fondamentalement avec celui de 1998, même en passant du studio au concert. Mais, outre une force de l'instant encore supérieure, il y gagne subtilement en fluidité et délié—toujours senza vibrato—, dans une vision très aérée. Le phrasé est sur le souffle, porté Auf Flügeln des Gesanges. On retrouve avec joie cette articulation différenciée finement, qui diffracte la narration au-dessus du soubassement rythmique. Les cors sont impeccables dans le Trio du Menuetto, les flûtes héroïques dans le Saltarello conclusif. Il affirme une urgence que Gardiner, délaissant les lumières méditerranéennes, hisse jusqu'au fantastique—les sorcières de Macbeth s’invitent au pied du Vésuve.
Pour le plaisir, revenez aussi à la version révisée de 1834, chez DG: la manière don’t Mendelssohn s'ingénie à tracer et colorer des chemins légèrement différents dans un paysage fondamental qui ne change quasiment pas (sauf dans le finale) est un ravissement.