Michael Tippett, dans le finale explosif de sa Symphonie no 3, fait chanter trois blues à la soprano, cite plusieurs fois la 9e de Beethoven et déforme sauvagement ces emprunts. L’idéalisme universel de l’Ode à la joie de Schiller n’est plus de mise au siècle des camps de la mort et du goulag. Un tel hymne n’est plus possible. Fut-il un leurre ? De dimensions quasi mahlériennes (près d’une heure), c’est l’une des partitions les plus ambitieuses de Tippett. Le public londonien découvrait en 1972, sous la baguette de Colin Davis, cette fresque en deux parties, elles-mêmes subdivisées en deux : des blocs de plus en plus étendus de musique dynamique s’opposent à des sections statiques, dans un dense et nocturne Lento, puis un bref scherzo articule, en kaléidoscope, des musiques disparates. Pour ce second et dernier volet d’une intégrale, Martyn Brabbins, Rachel Nicholls et l’Orchestre symphonique de la BBC d’Ecosse défendent une approche fervente, moins visionnaire et hiératique que celles de Colin Davis (Decca, 1973) et de Richard Hickox (Chandos), mais tout aussi énergique. Les jeux d’ombre et de lumière, rendus avec un soin plus analytique, modifient sensiblement le propos : le contrepoint parodique au texte de Schiller laisse transparaître un espoir. Rude, mobilisant une imposante formation, la Symphonie no 4 (1977) frappe par la concentration des idées. Un seul mouvement (trente-cinq minutes) enchaîne sept sections, dont trois violentes phases de développement. Tippett l’a conçue comme une trajectoire « allant de la naissance à la mort », et il est impossible de ne pas songer à la structure formelle de la Symphonie no 7 de Sibelius, malgré la différence des langages. Martyn Brabbins en livre une interprétation plus intériorisée que celle du créateur et dédicataire Georg Solti (Decca, 1979). Il plonge au plus profond de sa texture foisonnante, de sa nature tragique, et met en valeur les subtilités harmoniques et rythmiques. Son orchestre s’illustre dans des rugosités de toute beauté. Emaillée de digressions inattendues (dont une paraphrase aux cordes seules d’une fantaisie de Gibbons), la dissolution dramatique de la fin gagne beaucoup d’intensité. Le double album vaut aussi pour un inédit, une symphonie de jeunesse (1933) en si bémol. Tippett la considérait comme immature et trop influencée par Sibelius, mais ce triptyque plutôt lumineux et attrayant vaut le détour, à condition de ne pas y chercher la promesse des chefs-d’œuvre à venir.