Ce troisième et dernier CD d’œuvres pour piano de Bartók par Cédric Tiberghien réunit une flopée de chefs-d’œuvre, dont en particulier les trois Études op. 18, la Sonate pour piano seul et la Sonate pour deux pianos et percussions, où le pianiste est rejoint par François-Fédéric Guy et les percussionnistes Colin Currie et Sam Walton.
L’ensemble est parcouru par une intense vie intérieure. Il y a d’abord la vitalité explosive, manifeste dès les premières mesures de la riche Sonate, qui oscille entre cette séduction rythmique et des moments plus abstraits (comme le second mouvement). Comme dans l’Allegro barbaro du volume 2, Cédric Tiberghien ne donne pas ici dans le tapage et la brutalité, mais plutôt de tirer de la force rythmique un élan qui emporte, certes, mais qui n’empêche pas la couleur et la forme. À cet égard, le troisième Rondo sur un thème populaire slovaque est tout aussi éloquent, qui voit se côtoyer un thème bougon, violent, comme désarticulé, et des moments de douceur qui là invite à la mélancolie, ici devient presque immatérielle … l’un et l’autre s’influençant, se modifiant, se répondant, dans un souci de rendre la forme expressive des plus éloquent. La première des Études est toute de violence sourde et contenue, culminant dans un climax d’atmosphère angoissante—atmosphère qui se communique à la seconde étude, la brume en plus.
Mais il y a aussi le délicieux lyrisme, tout en simplicité, tout en délicatesse un peu innocente, des deux premières des Trois chansons populaires hongroises du district de Csík, la jovialité des « Cornemuses » qui ouvrent la Sonatine, où les accents, bien exprimés, ne sont jamais surexprimés et restent « modérés », comme y invite le tempo, Molto moderato ; clarté et finesse, en somme, mais sans exclure le sentiment.
La sonate avec percussions, enfin, apothéose du disque, est idéale de cohésion entre les quatre partenaires, de variété—tous quatre déploient un sens consommé des atmosphères, des voiles mystérieux à l’affirmation péremptoire ; elle ne cultive jamais la virtuosité mais semble au contraire l’éviter, sans pour autant nier l’attrait sonore de l’œuvre, le tout dans une prise de son luxueuse qui rend pleinement justice à l’ampleur des nuances et à la richesse des timbres.
Au-delà des pièces individuelles, il nous semble percevoir un souffle continu qui traverse l’ensemble du disque et qui invite à l’écouter d’une traite, comme un tout cohérent : n’y a-t-il pas une cohérence dans l’espèce de gradation qui mène de la première des Trois chansons du district de Csík à la Sonatine ? Une autre qui traverse le dernier rondo slovaque pour guider l’auditeur jusqu’à la fin de la troisième étude ? C’est aussi en cela que ce disque de Cédric Tiberghien (et ses comparses) est précieux : il invite non seulement à prêter l’oreille à Bartók dans la diversité de ses inspirations, mais aussi à rester avec lui.