Pour fêter sa victoire au Concours Long-Thibaud qu'il remporta en 1998, Cédric Tiberghien avait jeté son dévolu sur le Concerto n°2 de Liszt. Il s'intéresse à présent aux dernières pièces, fort d'une quasi intégrale de la musique pour piano de Bartók. Sa manière d'articuler les lambeaux mélodiques caractéristiques des ultimes opus doit certainement à ce commerce avec le « folklore imaginaire », dont il exporte ici la fausse ingénuité (Bagatelle sans tonalité, Mephisto Valse n°4). Tiberghien s'est totale ment approprié la Troisième Année de pèlerinage, quand trop de pianistes engagés dans la totalité du cycle voient leur inspiration fléchir au seuil de l'Angelus.
De son Yamaha (« l'un des plus fins instruments que j'aie joué »), Cédric Tiberghien tire des sonorités d'une grande variété, sans chercher à rendre cette musique plus aimable qu'elle ne l'est—Sunt lacrymae rerum et les deux Cyprès baignent dans une humeur auprès de laquelle l'ébène serait couleur de rose. Si l'impeccable mécanique de l'instrument nous vaut de fluides trémolos, la fusion des timbres n'a pas vraiment lieu dans les Jeux d'eau, interprétés avec un jeu de pédale discret et un sens du sacré apparentant l'énoncé du thème au sermon du saint François des Légendes. Le large ambitus dynamique fait de Sursum corda une apothéose qui est aussi libération : les étouffoirs levés, le cycle s'éteint plus qu'il ne s'achève dans la poussière de ses résonances. A quand les deux premières Années ?