Marc-André Hamelin est moins connu dans nos contrées. La célébrité et le succès ne le caractérisent pas et pourtant, à sa façon discrète et personnelle, il s'est bel et bien frayé un chemin vers le sommet. Il joue avec autant de virtuosité qu'Horowitz, de manière aussi réfléchie que Brendel, avec autant de naturel que Rubinstein et avec autant de passion qu'Argerich. Il se distingue par son répertoire et aux côtés des grandes œuvres connues figurent surtout des trouvailles, des œuvres rares qu'il a sauvées de l'oubli : Charles-Valentin Alkan, Nikolaï Medtner, Charles Ives ou Samuil Feinberg.
Samuil Feinberg devint célèbre en tant que pianiste et pédagogue. Il était le premier à présenter en Russie l'intégralité du Clavier bien tempéré de Bach en concert.
Feinberg est relativement tombé dans l'oubli comme compositeur. Il laisse à la postérité trois concertos pour piano ainsi qu’un cycle de douze sonates. Sa musique, difficile de prime abord, témoigne d’une personnalité très forte. Son langage harmonique est complexe et assez déroutant. C’est une musique plutôt tonale mais extrêmement chromatique. Elle se découvre au fil des écoutes et elle devient alors très convaincante et s’avère plus accessible qu’on ne peut le penser.
Ces six premières sonates datent de 1915 à 1923. Il avait alors entre 25 et 33 ans. Elles sont de style romantique, bâties comme des poèmes symphoniques. Les premières sonates sont en un mouvement, à l'exception de la troisième qui est en trois mouvements. C'est la plus longue du cycle : un 'prélude', une 'marche funèbre' et un 'allegro appassionato'. L’écriture sombre et passionnée rappelle Liszt, Scriabine et l'immense dernier mouvement Rachmaninov. La fugue finale est un purgatoire de folie, de passion et de douleur, contemplation de la mort et de la destruction totale. La quatrième sonate est inspirée d'un poème 'Vent nocturne' et déferle comme une tempête musicale.
La cinquième sonate est plus lyrique même si contrastée. Elle évolue d'une atmosphère debussyste à une extrême violence. Un mélange de délicatesse et de puissance. Hamelin fait sonner les dissonances avec bravoure. La sixième sonate porta durant quelques années, le titre 'Le déclin de l’Occident'. C'est une pièce lyrique d’une grande force expressive, rappelant les modèles romantiques allemands.
Tout au long de ce disque, Marc-André Hamelin est exceptionnel par son engagement et sa flexibilité au service de ces oeuvres fougueuses, tempétueuses, narratives et virtuoses.