RECORDING
Il fallait un pianiste au sommet pour égaler l’album Szymanowski signe par Piotr Andriszewski (Virgin, autre Diapason d'or, cf. no 526). Different, moins minéral, plus hédoniste. Cédric Tïberghien est comme un poisson dans l’eau dans les deux triptyques Métopes et Masques—pendants pianistiques de Mythes pour violon et piano, de la Symphonie no 3 ou du Concerto pour violon no 1, partitions phares de l’impressionnisme de Szymanowski. Autant d’œuvres composées en 1915-1916 et de témoignages de sa proximité avec Scriabine, Debussy, Ravel et Stravinsky, alors que Strauss et Reger l’avaient tant marqué dans les premières années du siècle.
De 1916 aussi, les brèves Douze études op. 33, dédiées ensuite à Alfred Cortot, n’ont rien à envier à Métopes ou à Masques: visions fugitives et 'Fantasiestücke' à la fois, moins études à proprement parier qu’enchainements d’impressions ou d’états dame. Les Quatre études op. 4 dévoilent un tout autre univers: un jeune homme d’à peine vingt ans s’y pose en successeur de Chopin et du premier Scriabine.
Cédric Tïberghien, déjà remarquable dans l’œuvre pour violon et piano avec Alina Ibragimova (Diapason d'or, cf. no 571), relève sans la moindre faiblesse les défis techniques—Szymanowski est redoutable pour les doigts. Dans les deux triptyques, il souligne la filiation lisztienne, souvent négligée, par un piano généreux, orchestral. Grâce à un respect scrupuleux des infinies nuances d’expression ou d’agogique, la ligueur formelle s’unit à liberté rhapsodique, la sensualité des couleurs à la mobilité des rythmes—signature de Szymanowski. Langueurs capiteuses de 'Shéhérazade', grimaces douloureuses de 'Tantris le bouffon', cyclothymie névrotique de la 'Sérénade de Don Juan', rien de l’esprit de Masques ne lui échappe. Dans Métopes, il exalte les jeux d'eaux de 'L'Ile des sirènes', les séductions capiteuses de 'Calypso' (deux pages également marquées par l'inimitable Richter, Decca), les mouvements chorégraphiques, grâce ou transe, de 'Nausicaa'. Au-delà de la virtuosité, les Etudes op. 33 s’apparentent bien à des pièces d’atmosphère. À des improvisations fantasques où Tïberghien sait creuser du mystère.