Si Andrew Carwood et son groupe vocal sont les artisans d'une magistrale intégrale Byrd en treize volumes, bouclée en apothéose il y a trois ans, c'est bien avec un récital Tallis qu'ils avaient marqué les esprits lors de leur passage chez Hyperion («Gaude gloriosa», 2005). Depuis la fin de l'aventure Byrd, un deuxième album Tallis l'a rejoint («Salve intemerata», 2013); avec ce troisième bouquet, voici lancée la «Cardinall's Musick Tallis Edition», une nouvelle intégrale qui entend rivaliser avec celle achevée en 2004 par la Chapelle du Roi d'Alistair Dixon, réalisation très correcte et désormais disponible à prix d'ami (10 CD réédités par Brilliant). Comme dans certains volumes Byrd, Carwood contraste librement son programme, confrontant la luxuriante messe à sept voix sans doute composée sous le règne catholique de Marie Tudor dans les années 1550, à des motets fameux, un Magnificat de jeunesse ou encore une prière en anglais pour la liturgie anglicane réformée. Point d’autre recherche de cohérence, donc, que celle d'illustrer toute la palette de Tallis autour de deux chefs-d'œuvre.
Cette messe et le vaste motet à six voix Videte miraculum, soit une bonne moitié du disque, ont été splendidement gravés par Stile Antico («Puer natus est», 2011, Diapason d'or). Outre un programme autrement conçu et en dépit d'effectifs vocaux très proches (ici quatre dames et douze messieurs), on est frappé par la différence de ces deux interprétations. Stile Antico chante la musique de Tallis pour Noël comme un miracle sonore venu de l'au-delà : temps suspendu par une pulsation ralentie, alliage fusionnel des lignes et des voix, velouté et enveloppant. Loin de cet idéal extatique, l'approche de Carwood est rhétorique : franche accentuation du texte dans des tempos allants, voix et lignes plus individualisées et sonorité moins ronde. L'influence de Pro Cantione Antiqua, revendiquée par Carwood, est évidente.
Impossible de décider objectivement laquelle de ces deux lectures tout aussi maîtrisées incarne le mieux, par exemple, l'extraordinaire dissonance qui ouvre le Videte miraculum (suffisamment fameux pour apparaître longuement dans deux scènes différentes de la série des Tudors). Pour sa cohérence, le récital de Stile Antico conserve un avantage global, mais il faudra suivre de près cette nouvelle traversée de l'univers de Thomas Tallis.